Le covoiturage est souvent présenté comme une alternative écologique à l’utilisation individuelle de la voiture. Pourtant, derrière cette image vertueuse se cache une réalité bien plus complexe. Cet article examine les enjeux environnementaux et économiques du covoiturage, en se penchant notamment sur le cas de Blablacar, leader du secteur en France. Nous verrons que l’argument écologique mérite d’être nuancé, et que le modèle économique de cette pratique soulève des questions éthiques.
Le mythe de l’économie d’énergie
Contrairement aux idées reçues, le covoiturage n’entraîne pas nécessairement une réduction du trafic routier. L’Ademe (Agence nationale de la transition écologique) a mis en lumière un phénomène inattendu : la plupart des passagers qui optent pour le covoiturage ne renoncent pas à leur véhicule personnel, mais délaissent plutôt les transports en commun, en particulier le train.
Ce constat remet en question l’argument écologique du covoiturage. En effet, le train est généralement considéré comme un mode de transport plus respectueux de l’environnement que la voiture, même partagée. Ainsi, le covoiturage ne vide pas les routes, mais les trains !
De plus, le covoiturage peut avoir un effet pervers sur les habitudes de déplacement. En réduisant le coût des trajets, il incite certaines personnes à effectuer des voyages qu’elles n’auraient pas entrepris autrement. Une étude du Commissariat général au développement durable a même estimé que le développement du covoiturage s’est accompagné d’une augmentation des circulations automobiles de l’ordre de 400 millions de véhicules/km par an.
Ces éléments relativisent fortement l’aspect environnemental mis en avant par des plateformes comme Blablacar. Il semble que leur impact écologique soit bien moins positif qu’annoncé.
Le partenariat opaque entre Blablacar et Total
Le modèle économique de Blablacar repose en partie sur un partenariat discret avec le géant pétrolier Total. Ce dernier, comme tous les vendeurs d’énergie, est tenu de financer des actions de réduction de la consommation d’énergie dans le cadre des certificats d’économie d’énergie (C2E).
C’est dans ce contexte qu’est née “la prime covoiturage”, une aide de 100 euros versée progressivement à tout conducteur qui partage son véhicule. Lorsqu’un utilisateur bénéficie de cette prime, il génère une certaine quantité de C2E. Or, Total a un contrat d’exclusivité avec Blablacar pour l’achat de ces certificats.
Le mécanisme financier est le suivant : pour chaque versement de 25 euros à un conducteur, Total verse environ 31 euros supplémentaires à Blablacar, qui joue le rôle d’intermédiaire. Ce système permet à Blablacar de générer des revenus substantiels, tandis que Total achète des certificats d’économie d’énergie à un prix inférieur à celui du marché.
Les limites du système de prime au covoiturage
La prime covoiturage, bien qu’elle puisse sembler incitative, soulève plusieurs questions quant à son efficacité réelle. Tout d’abord, elle ne bénéficie qu’au conducteur, et non aux passagers. On peut donc s’interroger sur sa capacité à encourager véritablement le partage de véhicule.
De plus, ce système ne garantit en rien que le conducteur réduira l’utilisation de sa voiture. Au contraire, la prime pourrait même l’inciter à effectuer davantage de trajets pour en bénéficier. Ainsi, les économies d’énergie réelles générées par ce dispositif sont difficiles à évaluer et probablement surestimées.
Enfin, le financement de cette prime par une entreprise pétrolière comme Total pose question. N’y a-t-il pas un conflit d’intérêts entre la promotion du covoiturage et les activités principales de Total ?
Vers une remise en question du modèle actuel
Face à ces constats, il semble nécessaire de repenser le modèle du covoiturage et son financement. Plusieurs pistes peuvent être envisagées :
- Favoriser l’intermodalité : plutôt que d’opposer covoiturage et transports en commun, il faudrait encourager leur complémentarité.
- Revoir le système de prime : une aide qui bénéficierait à la fois aux conducteurs et aux passagers pourrait être plus efficace pour réduire le nombre de véhicules sur les routes.
- Transparence accrue : les partenariats entre plateformes de covoiturage et entreprises énergétiques devraient faire l’objet d’une plus grande transparence.
- Évaluation rigoureuse : il est crucial de mettre en place des outils permettant de mesurer précisément l’impact environnemental réel du covoiturage.
Le covoiturage: une mobilité plus durable
Bien que le modèle actuel du covoiturage longue distance soulève des questions légitimes, il est important de reconnaître que cette pratique peut avoir un réel intérêt dans certains contextes. En particulier, le covoiturage montre tout son potentiel dans le cadre d’activités culturelles ou sportives, ainsi que pour les trajets quotidiens domicile-travail.
Ces types de covoiturage, qui ne constituent pas l’activité principale de plateformes comme Blablacar, présentent plusieurs avantages :
- Ils permettent de réduire efficacement le nombre de véhicules sur la route pour des trajets qui auraient de toute façon été effectués.
- Ils favorisent la création de liens sociaux au sein de communautés locales ou professionnelles.
- Ils offrent une alternative économique intéressante, notamment pour les personnes se rendant régulièrement au même endroit.
Il est donc essentiel de distinguer ces formes de covoiturage, qui ont un impact positif tangible, du modèle de covoiturage longue distance dont les bénéfices environnementaux sont plus discutables.