la filiere piscicole en france

Dans un monde où la consommation de produits de la mer ne cesse d’augmenter, les labels se multiplient pour tenter de rassurer les consommateurs sur l’origine et la durabilité de leur alimentation. Cependant, derrière ces certifications se cachent parfois des réalités bien moins reluisantes que ce qu’elles prétendent garantir. Face à l’exploitation intensive des ressources marines et aux controverses entourant certains labels comme le MSC (Marine Stewardship Council), une question émerge : ne devrions-nous pas plutôt concentrer nos efforts sur le développement des ressources locales en eau douce ? Cette alternative pourrait offrir une solution plus durable et transparente pour répondre à nos besoins alimentaires tout en préservant les écosystèmes marins déjà fragilisés. Cet article explore cette piste en analysant les limites des labels existants et le potentiel inexploité de la pisciculture en eau douce, véritable opportunité pour notre avenir alimentaire.

Les failles inquiétantes des labels de pêche durable

Quand la certification tourne à la manipulation commerciale

Le label MSC, présent sur de nombreux produits de la mer – des bâtonnets de crabe aux conserves de thon – est censé guider les consommateurs vers des choix respectueux des océans. En France, ce label certifie 14 pêcheries, représentant 19% des captures totales de produits de la mer des navires français. À l’échelle mondiale, le MSC affirme que près de 20% des captures de poisson sauvage sont engagées dans son programme.

Pourtant, les critiques se multiplient depuis plusieurs années. La Fondation Bloom, dirigée par Claire Nouvian, n’hésite pas à qualifier le système de “manipulation à échelle industrielle”. Le fait que des produits industriels comme les sandwichs filet-o-fish de McDonald’s puissent obtenir cette certification soulève de sérieuses questions sur sa rigueur.

Plus alarmant encore, selon les données avancées par les critiques, près de 83% des poissons certifiés par le label MSC seraient pêchés avec des pratiques destructrices. Ces méthodes entraînent la capture accidentelle d’espèces protégées comme les dauphins ou les tortues, ainsi que de poissons trop jeunes pour assurer le renouvellement des stocks.

Un contexte de surpêche mondiale alarmant

La situation des océans est critique. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la proportion de populations de poissons surexploitées ne cesse d’augmenter, passant de 10% en 1974 à 37,7% en 2021. Le WWF confirme ce constat en indiquant qu’un tiers des stocks de poissons est victime de surpêche, et que 20% des prises mondiales provient de la pêche illégale.

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Ces chiffres révèlent l’urgence de repenser notre approche de la consommation des produits marins. Le paradoxe est frappant : alors que nous créons des labels pour soutenir une pêche durable, la surexploitation des ressources marines continue de s’aggraver.

Des problèmes éthiques qui dépassent l’environnement

Au-delà des préoccupations environnementales, les labels comme le MSC présentent également des lacunes importantes concernant les conditions de travail. Le collectif de journalistes The Outlaw Ocean Project a révélé que onze usines chinoises de transformation de poisson, employant des travailleurs ouïghours dans des conditions controversées, étaient labellisées MSC. Certaines de ces usines fournissaient même des enseignes françaises comme Carrefour.

Cette révélation contraste fortement avec les déclarations d’Amélie Navarre, directrice du MSC France, qui affirmait l’an dernier que l’organisation était “consciente que la durabilité humaine et sociale est également un enjeu crucial”. Malgré l’interdiction depuis 2014 de certifier des entreprises condamnées pour travail forcé, la réalité semble plus complexe et moins rigoureuse.

Face à ces constats, le WWF lui-même, pourtant partenaire historique de nombreuses initiatives de labellisation, reconnaît de “sérieuses lacunes” dans le système MSC. L’organisme conseille désormais de considérer les poissons et fruits de mer comme des mets occasionnels plutôt que comme des “produits de masse”.

La pisciculture en eau douce : une alternative sous-exploitée

Un potentiel stagnant malgré des atouts considérables

Alors que la production piscicole mondiale progresse, la situation française présente un paradoxe inquiétant. Selon un rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) publié en novembre dernier, la production piscicole française, essentiellement en eau douce, stagne depuis une quinzaine d’années. Après avoir connu un essor dans les années 80 et 90, elle a reculé entre 1995 et 2005 pour atteindre un plateau dont elle ne parvient pas à sortir.

Cette stagnation n’est pas uniquement française mais “généralisée à l’ensemble des pays de l’Union européenne”, où la France représente 7,5% des volumes produits. Même la Grèce, “plus grand fournisseur des marchés de l’UE en poissons marins”, semble se contenter de maintenir son niveau de production en améliorant la qualité.

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Pourtant, les ressources en eau douce françaises offrent un potentiel considérable qui reste largement inexploité. Notre pays dispose d’un réseau hydrographique dense, de nombreux plans d’eau et de savoir-faire historiques qui pourraient être revalorisés pour développer une production locale, durable et de qualité.

Des pistes concrètes pour relancer la filière

Le CGAAER propose plusieurs pistes intéressantes pour revitaliser ce secteur. Pour l’aquaculture en mer, les experts suggèrent d’identifier des zones dédiées où cette activité serait prioritaire, avec la possibilité d’un couplage innovant avec l’éolien offshore, créant ainsi des synergies entre production alimentaire et énergétique.

Concernant la pisciculture d’eau douce, qui représente trois-quarts des volumes produits en France, le rapport recommande une orientation vers des produits à forte valeur ajoutée. Cette approche permettrait de compenser les investissements nécessaires dans des systèmes moins gourmands en eau, une adaptation essentielle face au changement climatique et aux périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes.

La réhabilitation des étangs : un trésor oublié

Le cas particulier de la pisciculture d’étang mérite une attention spéciale. Actuellement en déshérence, cette pratique traditionnelle présente selon le CGAAER un fort potentiel en France. En misant sur des pratiques extensives, avec peu ou pas d’aliments ajoutés, cette méthode permettrait de produire des poissons de qualité tout en préservant des écosystèmes riches en biodiversité.

Pour encourager ce renouveau, les experts proposent des mesures fiscales incitatives et des plans d’action conjoints avec les Régions. Ces initiatives pourraient permettre de réhabiliter un patrimoine piscicole unique tout en créant des emplois non délocalisables dans des zones rurales souvent en difficulté économique.

Vers un nouveau modèle alimentaire plus local et responsable

Repenser notre rapport à la consommation de poisson

Face aux limites évidentes des labels internationaux et à la surexploitation des ressources marines, il devient urgent de transformer notre approche de la consommation de poisson. Plutôt que de chercher à valider par des certifications contestables une production de masse souvent problématique, ne devrions-nous pas privilégier une production plus locale, plus transparente et véritablement durable ?

Cette transition implique de réduire notre consommation globale de produits de la mer, conformément aux recommandations du WWF qui suggère de les considérer comme des mets occasionnels. Elle suppose également de diversifier nos sources de protéines aquatiques en redécouvrant des espèces d’eau douce locales, souvent méconnues mais délicieuses et nutritives.

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Les avantages multiples d’une production locale

Développer les ressources en eau douce locales présente de nombreux avantages par rapport à l’importation de produits marins certifiés par des labels controversés :

  • Une traçabilité réelle et vérifiable : la proximité permet un contrôle plus direct des méthodes de production
  • Une empreinte carbone réduite liée à la diminution des transports
  • La préservation des écosystèmes marins déjà fragilisés
  • Le maintien de savoir-faire traditionnels et la création d’emplois locaux
  • Une meilleure résilience alimentaire face aux crises internationales

Des initiatives concrètes à développer

Pour concrétiser cette vision, plusieurs initiatives pourraient être mises en place :

L’organisation d’Assises de la pisciculture, comme le suggère le CGAAER, permettrait de définir collectivement “les objectifs de la pisciculture en termes de production, de types d’installation, de calendrier et de financements”. Cette démarche participative associerait producteurs, consommateurs, scientifiques et pouvoirs publics.

Le développement de circuits courts entre producteurs locaux et consommateurs favoriserait une relation de confiance qui va au-delà d’un simple logo sur un emballage. Des marchés de producteurs spécialisés, des systèmes de vente directe ou des partenariats avec la restauration collective pourraient dynamiser le secteur.

L’innovation dans les pratiques d’élevage constitue également une piste prometteuse, avec des systèmes combinant production piscicole et maraîchage (aquaponie) ou valorisant les déchets organiques, créant ainsi des modèles économiques circulaires et résilients.

Une alternative crédible et nécessaire

À l’heure où les labels comme le MSC montrent leurs limites et où la surpêche continue de menacer gravement les écosystèmes marins, le développement des ressources locales en eau douce apparaît comme une alternative crédible et nécessaire. Plutôt que de persister dans un modèle de consommation de masse que des certifications contestées tentent de légitimer, nous avons l’opportunité de réinventer notre rapport au poisson en privilégiant qualité, proximité et durabilité réelle.

La France, avec son riche réseau hydrographique et ses traditions piscicoles variées, dispose d’atouts considérables pour développer ce secteur. Des étangs de la Dombes aux rivières des Vosges, en passant par les bassins aquacoles modernes, notre territoire recèle un potentiel qui ne demande qu’à être valorisé.

Cette transition vers une production plus locale ne résoudra pas tous les problèmes liés à notre alimentation, mais elle constitue une étape essentielle vers un système alimentaire plus résilient, plus transparent et véritablement durable. La question n’est plus de savoir si nous devons nous engager dans cette voie, mais plutôt comment accélérer cette transformation devenue urgente face aux défis environnementaux et sociaux de notre temps.

By Cloridan Rochefort

Cloridan Rochefort, né en 1982 à Lyon, incarne l'utopiste convaincu des bienfaits des échanges sociaux en milieu urbain. Après des études en sciences sociales, il milite pour un espace communautaire à Lyon, promouvant le partage de compétences et de ressources. Initiatives telles que des jardins communautaires et des ateliers ont incarné sa vision utopique d'un mode de vie sain et autonome en milieu urbain. Sa biographie illustre son dévouement à construire des communautés urbaines épanouissantes basées sur l'échange et l'autonomie.

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